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Au début on ne voit rien, on ne comprend pas vraiment ce qui se passe, parce qu’il n’y a d'abord pas grand chose qui accroche le regard, si ce n’est, parfois, une série de portraits photographiques aux yeux tournés vers nous, ou un individu qui nous interpelle. L’élément restant de l’exposition est chétif, parfois emprunt de banalité, ou encore invisible, parce que nous, spectateurs, sommes invités à devenir l’objet de l‘exposition. Nous sommes donc, dans tous les sens du terme, son « sujet » car la seule chose à laquelle nous pouvons nous confronter sur le moment, sans être envahi de doutes, ne reste que nous-même, et des alter ego en chair et en os, si on a de la chance. Un basculement s’effectue donc du spectateur embrouillé dans son scepticisme plus ou moins bienveillant, vers le spectateur devenu premier objet de la réflexion. Autrement dit le tireur en restant tireur devient aussi cible. Sans doute il est ici question de regards qui s’entrecroisent et se fuient.

Des lignes de vision pour objet, des vecteurs, des trajectoires, des directions, des déplacements de corps dans l’espace, et même si le matériau premier pourra sembler inconsistant, Olivier Bardin ne traite pas du vide. Il travaille au contraire les modalités de la présence et de la rencontre dans l’espace d’exposition. Et il aurait confiance en l’interaction créée entre les personnes présentes et les embryons d’œuvres qu’il a disséminés, parce qu'il cherche à mettre en place un cadre d'atmosphère douce, un état d'apesanteur, où les masques, pour le moins, se transforment. Un environnement aussi, par lequel chacun est invité à prendre conscience qu'il fait partie d'un groupe, qu'il fait partie d'un dispositif qui tente de considérer une collectivité d'humains. L’attitude et la participation de chacun entrent donc en jeu, au point de donner, pour certains interprètes, une chorégraphie.
L’installation pour la Tate Liverpool par exemple était un ensemble de fauteuils identiques en cuir, de type gentlemen’s club. Situés dans la première salle de l’exposition, ces fauteuils étaient juste dirigés vers la porte d’entrée. C'était une sorte de salle de repos. Assis, le spectateur devient la pièce elle-même, tout comme sa position transforme chaque personne entrant en sujet de contemplation. Quelque chose proche d'un Tino Sehgal sans scénario, dont les acteurs improvisent et ne sont pas choisis, et où tout repose sur la durée d’une expérience. Disons qu'Olivier Bardin, sans clin d'œil à un rétro-futurisme convenu, crée un espace-temps autonome et parallèle à celui de la galerie, et peut-être par là interroge-t-il cet espace-temps, si particulier, qui est celui de l'exposition et de ceux qui ponctuellement l’arpentent. Tout est une question d’état (second).

Bref, c’est quand même dans la forme un peu décevant... Il apparaît périlleux cependant de trancher dans cette pratique, qui pourrait revendiquer à la fois la faiblesse (plastique) et la modestie. En poussant un peu la question, l'absence de forme peut bien suffire : pourquoi réaliser une sculpture, développer les grandes théories de la Gestalt, citer les recherches comportementalistes, voire béhavioristes, quand la présence d’un public qui s’identifie en tant que tel peut suffire à l’élaboration d’une œuvre, et par ce biais la rendre pertinente ? Ou encore, pourquoi tenter la fabrication de micro-objets, ou cacher ses pièces, quand il suffit de ne pas en mettre, d’en mettre des ersatz, ou des supports ? Les objets présentés par Bardin ne pourraient être, en conséquence, que des socles pour la vie réelle mais ils ne jouent pas la disparition. Dans une partie de son travail, en outre, la parole, la caméra ou l’appareil photo sont les moyens de captation de l’autre et de l'instant. Ces outils viennent souligner une pratique concentrée dans des dispositifs, même si, encore une fois, l'expérience de l'œuvre se suffit à elle-même.
Et de fait les installations d'Olivier Bardin demandent un type très spécifique d'effort : de la concentration dans l'anticipation, la contemplation et l’analyse des attitudes, vers un minimum de prise de risque, dû, en plus, à l’injonction tacite à rester dans l'espace et à donner de son temps ; c'est-à-dire se faire regarder, seul, en face d'un miroir.

L’humanisme du travail de Bardin est assez classique, dans le sens où il place le Sujet dans une perspective, dans le sens où aussi, il vient, insidieusement mais avec générosité, conditionner ses comportements. Ces dernières préoccupations, quand les arts visuels contemporains misent trop sur une idéologie de la distance et de l’individualisme, le « chacun pour soi », mettent le doigt sur une nouvelle question : celle de la posture.
Quiconque a pris l’habitude de se promener dans les lieux dédiés à l'art sait à quel point on peut se voir changer de comportement en fonction d'un contexte. L’exposition est bien un lieu où un pouvoir s'exerce en proposant un code de conduite. Autrement dit la galerie est, au moins pour le spectateur, un espace dans lequel des postures peuvent s'exhiber. Olivier Bardin démonte pour les recréer ces dispositifs fictionnels et ces formes du pouvoir.
D’ailleurs peut-être que le geste principal de Bardin pour la Force de l’Art, son coup de maître, est d’avoir demandé qu’on lui construise une salle en forme d’ellipse, métaphore d’un saut par dessus le vide, désignation d’un espace de liberté à investir.

 

©2009, pour le journal Particules