« J'ai une idée. Ce boulot peut prendre toute la surface que tu m'as proposée. Ça implique une performance, pendant le vernissage. Cette performance va laisser des traces. On a besoin de quelqu'un du coin qui manie le fouet. Il/elle va circonscrire l'espace en faisant claquer ses fouets... Ça devrait laisser des empreintes ou déplacer des objets dans l'exposition. On en décidera plus tard, après avoir discuté un peu avec la personne qui fait la performance. Le « fouetteur » sera invité à s'exprimer et à utiliser sa technique pour améliorer l'exposition, en remplissant l'espace de sa présence et de ses gestes.Le communiqué de presse ne devrait pas donner le nom du « fouetteur », car je pense qu'une partie de la force de cette pièce réside dans son effet de surprise, qui peut être perdu si le public s'attend à un spectacle. Tu peux dire qu'une performance aura lieu dans la soirée, qui parlera de la délimitation de l'espace d'une façon physique et auratique. » Et le pire c'est que nous sommes contents. Le show en valait la peine comme il dégageait son pesant en cacahuètes de sensations fortes, de sensualité, de mise à distance et, réciproquement, inévitablement, de scepticisme. Comme si la recherche n'allait pas en se creusant, mais en s'étendant on ne sait où, en se diluant, en se faisant à elle-même des croche-pattes pour semer les attentes des commanditaires et du public. Pourtant, dans l'action, ce qui m'épargne toute angoisse reste un penchant de plus en plus vertical à considérer qu'un flou dans les intentions d'un artiste peut être de bonne augure. Après tout, ce qu'un artiste voudrait dire en dehors de son travail, ses propres commentaires, sont parfois usant. Et en l'occurrence, l'absence déterminée de complaisance narcissique de Giorgio me plaît bien : pas de style, pas de forme fixe, pas d'explications. Pour résumer, un peu de silence ou de faux semblant peut suffire. Cette attitude devient d'ailleurs la seule qui reste à Sadotti. Le système est clos: à un moment donné l'artiste peut se trouver lui-même au défi d'expliquer son propre travail. Alors, en poussant, un travail vaudrait aussi par les paradoxes qu'il induit. Parce qu'une œuvre de Giorgio n'est pas pédagogique : elle développera par sa richesse des thèses antagonistes. Tout se lie donc : elle provoque le doute chez celui qui la montre, doute assumé, mais aussi, fatalement et encore une fois, un blocage quand on passe à la critique. Bluff, austérité, surenchère, soumission, facilité, implication physique, références grossières, astuces stylistiques, manipulation, font quelque-part un ensemble indémontable. Et j'en arriverais vite à affirmer que, parfois, une pièce ou une pratique ne s'expliquent pas, parce que certains travaux ne veulent pas se (faire) justifier. Troisième conclusion : il apparait qu'à l'heure où la médiation de l'art est un enjeu réclamé, il devient presque mission impossible de défendre certaines pratiques, celles qui sont à la fois sur le fil et coupantes, dont l'agressivité et la pertinence proviennent d'une indétermination, qui revendiquent le mutisme, l'oscillation fébrile entre la compromission et la critique, l'auto-dérision dénuée de provocation, manières qui valent parfois pour les pratiques dites post-conceptuelles, dont fait partie celle de Giorgio Sadotti. Laquelle faisait si bien grincer le demi-propos de l'exposition The True Artist.
pour la revue Particules, Paris ©2008 |