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La Station interviewée
Depuis en 1996, l'association à but non-lucratif Starter, plus connue sous le nom de La Station, a montré environ 280 artistes et mis en place une bonne centaine d'événements. Nous revenons avec ses membres actifs sur les modes de fonctionnement, les objectifs et l'état d'esprit du collectif niçois d'artistes.
Damien Airault
Je ne peux pas franchement passer les présentations, avec un petit bilan de vos 13 années d'action passées.
D'abord La Station est une structure qui a toujours cumulé lieu d'exposition et ateliers d'artistes, jusqu'à faire de cela un atout : les ateliers servent de lieux de production pour les pièces, permettent aux artistes de se côtoyer et donc d'affiner leurs réflexions en cours, et deviennent aussi des endroits intermédiaires où le public peu rencontrer un travail en train de se faire.
Ensuite j'aime assez la souplesse de votre programmation : des artistes connus ou inconnus, des programmes hors-les-murs basés sur des partenariat à court termes ou des échanges, et l'ouverture vers des médiums souvent parallèles aux arts plastiques (musique, littérature, arts de la scène). Tout cela donne une sorte de spontanéité, tout en favorisant une sorte de recherche à bâtons rompus.
Enfin il y a vos liens avec l'étranger qui font que vous êtes régulièrement amenés à « exporter » des artistes français, ou à être très en phase avec la jeune scène internationale, principalement européenne.
On peut commencer par une special dedicace : qui sont les membres actifs de l'association ? Et qui est résident en ce moment à la Station ?
Émilie Perotto
Les artistes résidents actuels sont Paul Chazal, Jean-Baptiste Ganne, Alexandra Guillot, Benjamin Hugard, Ludovic Lignon, Charlotte Pringuey, Florian Pugnaire, Damien Sorrentino-Florentz, Cédric Teisseire.
Les musiciens résidents sont Karim Badi et Christine Lidon.
Nathalie Lavarenne (chargée de l'iconographie du Musée Matisse de Nice), Patrick Michaud (collectionneur), Pauline Thyss (critique), Claude Valenti (graphiste), ainsi que Maxime Matray (touche-à-tout) font le reste de l'équipe niçoise.
Natacha Lesueur, Ingrid Luche, et moi même restons impliquées dans La Station tout en résidant ailleurs.
Damien Airault
Ensuite d'un point bêtement concret, est-ce que vous pouvez m'expliquer comment vous aidez à la production des œuvres ? Par de l'argent, du conseil, de la logistique, un contexte particulier ?
Cédric Teisseire
Cette aide à la production se fait en plusieurs temps : premièrement en offrant de la surface d'atelier aux protagonistes de La Station que l'on pourrait nommer résidents, ce sont les gens qui constituent "l'équipe" de La Station sur une période relativement longue. C'est évidemment à géométrie variable puisque cela dépend de la configuration et de la surface dont dispose La Station. Cette mise à disposition d'ateliers est sur la base d'un échange de compétences où le résident apporte sa force de travail, ses connaissances sur l'organisation, le maintien et la vie des expositions et du lieu (en théorie). En gros, La Station fournit un outil de travail à un artiste avec le réseau, les équipements et les facilités que cela comporte mais cet artiste a aussi la possibilité de modifier, de faire progresser et d'adapter cet outil par ce qu'il va y apporter. Actuellement, nous sommes onze artistes à travailler dans les ateliers, en se partageant 700 m².
Dans un deuxième temps, cette aide se manifeste par la production de pièces, le cas échéant, des artistes invités à une exposition. Cette aide peut être financière en payant les frais de production, logistique par la mise à disposition ponctuelle d'un espace de travail. L'œuvre réalisée reste bien évidemment la propriété de l'artiste.
Troisième possibilité, l'association est porteuse de projets d'artistes spécifiques pour les aides à la création arts visuels du Conseil Régional PACA et sert de relais lorsque ces aides seront attribuées entre cette institution et l'artiste. C'est l'association qui dépose les dossiers.
Damien Airault
Est-ce que vous avez vu les lieux montés par des artistes changer ces 15 dernières années ?
Cédric Teisseire
Des lieux comme ALaPlage à Toulouse, Circuit à Lausanne ou Glassbox à Paris ont tous su évoluer vers un maintien et une adaptation (parfois en milieu hostile) , chacun ayant pris des chemins différents tous en préservant les postulats de départ. Plus récemment, le Konsortium à Düsseldorf représente bien cette nouvelle modalité de mutualisation des compétences et ce désir des artistes de se placer dans un contexte de monstration ouvert sur d'autres individualités, d'autres scènes. Une des plus anciennes que je connaisse à ce jour est le CCNOA à Bruxelles qui maintient une programmation intensive et un réseau international. Cette longévité est assez remarquable et montre que ces structures font preuve d'un grand professionnalisme : elles sont imposées comme un maillon essentiel dans la chaîne de diffusion et de monstration artistique. Une nouvelle voie s'est ouverte qui permet l'éclosion de nouveaux types de problématiques d'exposition et sert de plate-formes à de jeunes artistes vers les lieux plus "traditionnels". Un grand travail de complémentarité s'est accompli.
Émilie Perotto
Ce qui me semble notable pour un certain nombre de lieu montés par des artistes il y a une quinzaine d'années, c'est que peu à peu, les artistes fondateurs ont laissé la place, soit pour des raisons professionnelles, soit pour la survie de la structure, à des "professionnels de l'exposition" : commissaires, médiateurs, etc.. Je pense à des lieux marseillais tels que Triangle, ou RLBQ. Cette mutation leur a permis de continuer leur aventure. Et il me semble que des lieux fondés par des artistes dans les années 90 et toujours opérants sur le même mode se font de plus en plus rare. Il a aussi À Suivre à Bordeaux, Buy sellf à Bordeaux et à Marseille, Interface à Dijon...
Damien Airault
En fait j'ai surtout l'impression qu'on voit de moins en moins d'artist run spaces nouveaux apparaître, quand c'était plus un réflexe, dans les années 90, de monter son association avec sa bande d'amis artistes dès la sortie de l'école. Mais ça reste une impression, je n'ai pas de données fiables.
Émilie Perotto
C'est vrai que je ne connais que In Extenso, à Clermont Ferrand, monté et géré par des artistes de ma génération (Sébastien Maloberti et Marc Geneix), qui propose une programmation intra et extra-muros, ainsi que des éditions.
Damien Airault
Le bénévolat reste une façon importante de faire tourner la machine...
Émilie Perotto
Oui et non... Parce que ça ne peut durer qu'un temps. À La Station, les bénévoles artistes bénéficient d'un espace de travail et du réseau, donc il est plus question de rétribution en moyens de travail que de pur bénévolat. Là où le bénévolat a une place importante, c'est pour l'accueil humain.
Sans rouler sur l'or, et ce grâce aussi au bénévolat, La Station accueille correctement les artistes, étrangers ou non. Transport humain et des œuvres, logement, et production sont au programme. Ce pack est aussi dû à la situation de La Station en province. On sait tous qu'une partie des lieux associatifs parisiens invitent les artistes en leur payant à peine le voyage et en considérant comme presque normal qu'ils viennent avec leurs pièces dans la valise et qu'ils se débrouillent pour se loger... Finalement on en revient un peu toujours à la même conclusion, il y a un monde de l'art français parisien et un français de province...
Damien Airault
Alors comment voyez-vous la scène française aujourd'hui, si il en a une et si c'est pertinent de parler en ces termes ?
Jean-Baptiste Ganne
La scène française étant Paris-centré, c'est donc de loin que je l'observe. Je me souviens d'une exposition au Palais de Tokyo que j'aurais volontiers appelé "Leurs histoires". À mon sens il y a donc des artistes français, liés à la spécificité de la langue et à une histoire de l'art français - et ça existe bien entendu de de Champaigne ou Poussin à Duchamp ou Filliou - et une scène parisienne qui occupe l'espace, s'auto-regarde et s'auto-écrit. Et c'est en général cette seconde que l'on appelle la scène française. Paris étant la capitale du dix-neuvième siècle et de la mode, Nice, celle du compté niçois, je préfère regarder ailleurs, dans le territoire de la langue pour ce qui serait spécifique à une pratique des artistes français. C'est probablement l'avantage de vivre en périphérie et de le savoir, on voit mieux de loin.
Je crois que la position singulière de Nice, sa position frontalière, son histoire, son entrée tardive dans la République française, son éloignement géographique de Paris, et le passage important d'étrangers par la côte d'azur, a permis à une structure tel que la la nôtre d'échanger autant ou même d'avantage avec d'autres scènes européennes finalement qu'avec la scène française. Je vois que ce n'est pas ta question Damien, mais, pour être plus précis, il me semble que la Méditerranée est elle aussi une scène où, moi en tout cas, je me plais à évoluer.
Damien Airault
Donc quelle influence a le fait de travailler à Nice, vis-à-vis des politiques locales, des publics ?
Cédric Teisseire
Ce sont des rapports ambiguës car d'un point de vue de la politique locale, il y a toujours cette contradiction où l'on veut défendre la production locale tout en comptant sur une validation et une crédibilité du milieu centralisé parisien. C'est un va-et-vient permanent avec lequel il faut jongler ; ne pas s'enfermer dans une "vernacularisation" artistique et devenir des artistes du cru. Il nous apparaît que la notion géographique d'un travail n'a que peu d'importance mais en même temps, ne pas se couper de son environnement proche, du public à proximité… C'est juste un problème de mise en valeur par la médiatisation et la crédibilité que cela peut produire. Nous avons quand même la chance que Nice draine un public cosmopolite , curieux et très souvent éclairé. Il est arrivé bien des fois que des journalistes essaient de nous étiqueter comme la nouvelle école de Nice, ce que je refuse absolument. Je considère que cette notion d'école et d'appartenance est un refermement sur soi, complètement antinomique avec ce que nous essayons de défendre avec le projet de la Station, ce serait un effet réducteur catastrophique sur le regard que l'on pourrait porter sur notre programmation au travers de ce prisme là.
Émilie Perotto
Je crois que travailler à Nice est un fait essentiel dans la nature de La Station. Tout d'abord parce que La Station entretient un lien étroit avec la Villa Arson. Tous les artistes qui ont été résidents sortent de cette école. Ce n'est pas un choix de l'association. C'est juste quelque chose d'évident. Après le diplôme à l'ENSA Villa Arson, il y a en gros trois possibilités : soit on obtient un atelier de la ville, soit on intègre La Station, soit on déménage. Ceux qui arrivent à la Station ont donc déjà une histoire commune, celle de l'école.
Depuis bientôt trois ans, le réseau BOTOX(S) (qui regroupe un certain nombre de lieu d'art contemporain de Nice et son pourtour), et dont fait partit le CNAC Villa Arson, se mobilise pour créer des évènements communs qui permettent à tous de bénéficier d'une certains médiatisation. Et je crois qu'il est toujours plus facile de bénéficier des médias sous le soleil qu'ailleurs...
Damien Airault
Dernier point : en tant que collectif d'artistes, privilégiant les prises de décision collégiales, qu'est-ce qui va faire pencher la balance pour un projet plutôt qu'un autre ?
Cédric Teisseire
La motivation et la conviction du ou des porteurs du projet et les contingences factuelles des artistes et des possibilités de mise en œuvre. Nous essayons d'être le plus réactif possible tout en proposant les meilleures conditions possibles de travail aux artistes. Nous essayons d'attraper au vol cette fameuse balle de tennis lancée sur une plage de galets, parfois plusieurs à la fois…
Émilie Perotto
Je crois aussi qu'on a jamais vraiment à choisir entre deux projets précis. Il est plutôt question du désir du membre qui l'expose et le projet se construit peu à peu par des échanges. Il arrive souvent que ce soit plutôt empirique. Pour citer l'exposition d'inauguration du nouveau lieu Écotone, nous étions convaincus du choix de certaines pièces ou de certains artistes avant même de pouvoir énoncer clairement ce que nous mettions en place. Cela n'est jamais problématique, et je crois même que c'est une des caractéristiques de La Station. C'est aussi pour cette raison qu'on ne peut pas désigner les commissaires des expositions Station. L'impulsion peut dépendre d'un, mais la concrétisation dépend de tous.
Jen-Baptiste Ganne
La question de la collégialité est la plus épineuse et la plus politique dans le fonctionnement d'un collectif. Au fond, c'est une manière de penser le démocratique autant à l'échelle d'une structure telle que La Station qu'à l'échelle d'une société. En fonctionnant sur le modèle de la démocratie majoritaire, ce qui primera, ce sera quelque chose comme la pire solution mais la plus adaptée à tous, c'est à dire ce que l'on appelle ou appelait en mathématiques de collège, le PGCD (le plus grand commun diviseur), en fait, pratiquement, la dictature du moyen et du consensus mou, ce qui à l'échelle de la société produit ce que vous savez. En s'appuyant sur une dynamique du désir, ce que Cédric appelle la motivation et la conviction, on parvient à maintenir des tensions entres les choix des différents protagonistes et donc à éviter à la fois la médiocrité démocratique et la terrible simplification curatoriale qui tend à réduire les œuvres à un discours préalable. À titre personnel, je souligne, c'est une expérience de l'anarchie dans ce qu'elle pourrait avoir de plus jolie, au sens où elle ne s'opère pas entre anarchistes, mais au milieu même d'une micro-société où chacun peut avoir une idée différente de ce que devrait en être son fonctionnement. Cela ne produit pas forcément le meilleur, cela n'arrive pas sans frictions, ce n'est sûrement pas ce que l'un ou l'autre aurait attendu, mais en tout cas ça frotte et ça gémit, et c'est donc bien vivant.
Damien Airault
Les expositions/projets futurs ?
Cédric Teisseire
La prochaine exposition s'appelle Cas de figure et va réunir, autour d'une problématique sur les pratiques de la peinture, les travaux d'Armen Eloyan, d'un groupe de 3 artistes de Düsseldorf "Konsortium", et de Yann Sérandour. Vernissage le 5 février 2010.
pour Particules, n°27, janvier 2010©2010
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