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Hommages…


Certains artistes choisissent le coté de la modestie, de l’effacement, multiplient les hommages à leurs maîtres, ont une pratique en creux sans style identifiable, sans héritage formel non plus si ce n’est que leurs travaux sont indéniablement et uniquement assimilables aux formes de l’art contemporain, ce qui ne veut pas dire grand chose finalement…

Dans le style, on a récemment redécouvert la fraîcheur des pièces de ces artistes de la cote Ouest américaine qui, à la fin des années soixante, passaient leur journée à faire des photos de parkings de supermarchés, de chambres d’hôtel, ou qui montraient une fascination étrange pour les stations essence ou encore les pavillons de banlieue. Il y avait dans leurs travaux une façon de nier la forme, l’originalité, de rester cloué à sa middle-class et de ne pas vouloir en sortir ; façon, en quelque sorte, de refuser au départ l’ascenseur social d’une quelconque gloire artistique. Fine stratégie qui s’avère payante quarante années plus tard, car c’est presque le summum du luxe aujourd’hui que de pouvoir être banal, d’éviter la figure de style et la démarcation. Comme on dit : ce n’est paradoxalement pas parce qu’on est discret qu’on n’est pas remarqué.

Plus récemment si vous essayez de reconnaître une œuvre de Gilles Goussin dans une exposition, vous vous heurterez à quelques difficultés. L’artiste ne veut pas de griffe visuelle. Par là, il met un peu de coté son statut d’auteur et signe ce qui peut être fait par tout un chacun comme par un groupe d’inconnus. Parce qu’après tout, s’il n’y a que l’idée ou le concept qui comptent, celui ou celle qui les pense devrait aussi passer inaperçu…
Bien sûr il a une volonté de détourner le réel qui est actuelle, d’y apporter sa propre interprétation. Mais, même si l’expression peut paraître absurde, l’artiste pourrait représenter aujourd’hui, en France, une scène pop, cachée dans les recoins de sa province, qui semble rire au nez du design, du graphisme imbu, de la photographie de mode, du glamour rock n’roll et des vernissages au champagne. Goussin fait partie de ceux-là et va superposer dans les mêmes pièces hommages aux stars pratiquant l’auto-dérision discrète (Rembrandt et Rodtchenko si je peux me permettre, Manzoni et Cadere), et symptômes éternels et surannés d’une Catégorie-Socio-Professionnelle majoritaire (Ricard, nunchaku, Kinder, petit train, dentifrice qui rougit les gencives). Comme il n’y a pas télescopage entre ces deux domaines, son humour n’est pas cinglant, il ne frise pas non plus les équations ironiques du 4ème degré. Il n’est surtout pas noir, il est sur la ligne de crête du clin d’œil, trajet ardu en fait, pourtant praticable.

et démystifications : redonner aux symboles leur sens premier.

Embrayons :

Un nunchaku et un couteau dont les manches reprennent les modules du bâton d’André Cadere. Un projet demandant à une centaine d’artistes célèbres de connus dans des boites pour créer un Monument à Manzoni. Le visage du petit garçon Kinder sur fond blanc. Des fauteuils roulants attachés entre eux tournant en rond sans conducteurs. Des monochromes peints avec le dentifrice Rembrandt. Des sculptures abstraites et monumentales en papier-machine. Un plateau carré pour cent verres de Ricard inspiré du «mètre» qu’on s’offrira dans certains bars. Deux autoportraits ne représentant chacun qu’une moitié verticale du visage de l’artiste, reproduites en symétrie, recréant deux visages légèrement différents.

Pareils à des Ricard bien tassés, les assemblages de Gilles Goussin forment des liquides différents en substance de la somme des qualités des deux liquides assemblés. Et si je me laissais aller au délire, je dirais que cet apéritif anisé représente la démystification de ses deux substances de base. Est-ce à dire (pour prendre l’assemblage Cadere/nunchaku) qu’un bâton de Cadere est avant tout une arme contre l’institution, le vecteur d’un geste agressif ? Dirions-nous qu’un nunchaku, au départ fléau chinois pour battre le blé, peut frôler, dans son rapport forme/fonction, les honneurs de l’œuvre d’art ? incontestablement, et le geste de Goussin est à la fois neutralisation et mise en valeur de significations d’origine. Que l’artiste demande à ses collègues de déféquer dans une boîte pour mettre l’ensemble dans un même contenant qui deviendra un monument à Manzoni constitue aussi une ré-interprétation des travaux de ce dernier à plusieurs titres. D’abord, évidemment, la production artistique est assimilée, encore une fois, à un déchet, déchet produit à plusieurs, inutile de le rappeler. A cette vision à la fois sarcastique et salvatrice s’ajoute une autre façon de considérer le travail de Manzoni, lui-même préoccupé par la construction de faux monuments, comme par exemple son Socle du monde, sous-titré Hommage à Galilée. Cependant le travail de démystification de Goussin apparaît dans les processus de ce projet. Il faut lire les réponses des artistes auxquels a été adressée la demande de participation pour comprendre à quel point certains tombent de leur piédestal et subissent la loi de la gravité. Pris à partie directement, leurs masques chutent, ce qui provoque aussi une œuvre conviviale et humoristique, quand les quelques bonnes volontés ont été réunies.

Pour en finir avec l’évocation partiale de travaux, nous pouvons prendre l’image du blondinet de Kinder, isolé des logos de sa marque de friandises. Le petit garçon est automatiquement reconnu par un citoyen occidental. Goussin stimule un pauvre réflexe. Mais l’enfant, séparé de son contexte commercial, deviendra aussi l’autoportrait de l’artiste plus jeune ou une icône du IIIeme Reich. Evidemment, on nous parle de ce que sont devenus les portraits, aujourd’hui images anonymes du bien-être du consommateur toujours à l’aise. Mais on nous rappelle à quel point l’image du gamin Kinder est gravée dans notre esprit, et seulement le notre. C’est une façon de dire que ces images qui sont devenues invisibles au cours des répétitions ont par là-même multiplié leur impact.

D’une autre manière, pour les artistes, tenter le coté de l’invisibilité et de l’effacement est aussi un pari, parce que cela force à une expérience intellectuelle, au rapprochement de logiques et de références éloignées, et à la construction, dans l’esprit du spectateur d’une nouvelle grammaire. Cette nouvelle syntaxe est bien loin des schémas d’interprétation habituels car entraînant des mécanismes inconscients (cela reste difficile à expliquer). Peut-être que nous connaissons trop bien les causes de nos émotions.

Alors il faut en revenir aux œuvres. Et se passant volontiers d’éloquents discours, tout comme celles des artistes américains évoqués plus haut, les pièces jouent avec un sentiment d’inquiétante étrangeté, pouvant renvoyer à des peurs ou des fantasmes latents, à un quotidien hanté, mais qui, avec Gilles Goussin, dégagent une sorte de beauté timide et inquiète. Et finalement, par ses amas de CSP pauvre et d’artistes glorieux, montrent une volonté pragmatique de non-compromission.

 

 

 

©2005