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C’est en 1969 que naît officiellement Présence Panchounette. Légalement elle fonde et participe aussi à une association qui a pour objet d’"encourager les lettres, les arts et les loisirs"1. La première action répertoriée de ce groupe sera l’installation, dans un parc de L’Université de Bordeaux III, exactement sous les fenêtres de son président, d’un faux puits, fait de pneus peinturlurés et de fleurs synthétiques, dans le plus pur goût populaire de l’époque. La légende dit que ce petit collectif s’était déjà fait remarquer en novembre 1968, graphitant sur les murs bordelais la phrase «Tout est comme avant», retournement d’un slogan de mai, ou encore en exposant sauvagement dans les rue de Bordeaux, en peignant des parcours fléchés à même ses pavés.
Les membres de ce collectif décideront de se produire systématiquement anonymement, bien qu’à l’époque leurs identités restent un «secret de Polichinelle» pour les amateurs. De temps en temps ils utiliseront le nom Bauhaus Panchounette rappelant l'école que l'on sait mais aussi le moins célèbre "Mouvement pour un Bauhaus Imaginiste", entre autres groupes à l'origine de l'Internationale Situationniste. Pour marquer le coup, le Bauhaus Panchounette se fait confectionner deux tampons imitant celui de l'école de Dessau et qui ponctueront certains de leurs communiqués écrits.

Pendant les années 70, Présence Panchounette expose et produit dans ce qu'elle nomme le Studio F42, situé au 5 rue Chai-des-Farines à Bordeaux. En plus d'un lieu de vie et de débat, cet appartement est une galerie d'art où chacun peut exposer, parfois à condition d'offrir une de ses œuvres à la Présence.
Durant ces premières années, P.P. crée beaucoup d'events et, bien entendu, utilise tous les autres matériaux et techniques qui caractérisent les arts plastiques. Un event pouvait être de prévenir un public potentiel, par voie de presse, qu'il va se passer quelque chose tel jour à telle heure et à telle adresse. Le spectateur curieux se retrouve par exemple confronté à une mobylette, couchée sur le trottoir et aspergée de sang (de bœuf venant des abattoirs). Est-ce un accident réel ou fictif, sans casse ni victime, ou un véhicule agonisant, un suicide ? A bordeaux un mythe s'échafaude : qui a commis ce bain de sang ? Quels sont ces jeunes gens qui assemblent des objets de récupération Porte Dijeau, qui invitent à manifester, sans slogan réel, devant le Conforama du coin ? "C'est Présence Panchounette, dit-on."

La P.P. intègre en 1977 la Galerie Eric Fabre3, qui deviendra la Galerie de Paris en 1987. Ici a lieu leur première exposition parisienne, TRANSITION (Valse) pour laquelle ils tapissent les murs de papier peint aux motifs géométriques noirs et blancs et obstruent les vitrines, ainsi que les portes vitrées, d'un autre papier peint, celui-ci imitant un mur de briques. La Galerie de Paris sera revendue par Eric Fabre en été 1997.

Jusqu'en 1991 , année à laquelle P.P. cesse triomphalement toute activité, on a pu la voir dans de nombreux lieux en France, en Europe (Londres, Barcelone, Amsterdam, Stuttgart, Florence, etc.) et dans le monde (Los Angeles, Séoul ou New York plus récemment). Ses exhibitions à Bordeaux deviennent très minoritaires. Le groupe (cela se dit moins) bénéficiera, surtout dans ses dernières années, du soutien des principales inst(itutions artistiques françaises. Citons par exemple la Caisse des Dépôts et Consignations, la Villa Arson, et la Fondation Cartier.

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DE TOUTE FACON CA N'ETAIT PAS UNE ATTITUDE, NOUS ETIONS COMME CA4

Le but de l'art est de créer des inégalités.
Chklovski5

Il n'est pas certain que la bourgeoisie puisse supporter les images/l'image du prolétariat (autre(s) que les images/l'image qu'elle s'en fait/qu'elle en fait).
P.P.6

Nous avions l'habitude, depuis la nuit américaine du concept, de feuilleter négligemment Art Press pour le plaisir maniaque d'y vérifier le goût qu'a la bourgeoisie d'assortir sa pensée à ses moquettes.
P.P.7

La Présence Panchounette, en ironisant sur le sort de ses congénères, artistes ou non, déclare souvent qu'elle a trouvé son créneau : le "mauvais goût". Il deviendrait la seule invention "plastique" crédible du groupe dans le champ de l'art. Serait-il, alors, de mauvais goût de placer, à l'intérieur de la sphère artistique, des objets ordinaires, dans une situation fonctionnelle d'objets ordinaires ? Ces objets, la plupart du temps banals, déclasseraient-ils leur lieu d'exposition ? L'absence de socle a-t-elle quelque chose à voir avec tout ça ?.. Trop de questions restent en suspens.
P.P. affirme aussi couramment aimer et respecter les objets qu'elle montre ; elle leur octroie, et elle s'oppose ici à la majorité de la critique, le plus parfait bon goût. Autrement dit, le groupe bordelais a la certitude de faire du bon goût, mais il se juge, sur la scène de l'art, dans le mauvais !

La distinction entre le "bon" et le "mauvais" goût se fait par deux adjectifs renvoyant à l'éthique ou à la morale. Cela peut prouver les caractères labiles, arbitraires et aliénés du pur jugement de goût. "Le goût parait bien désigner cette démarcation socio-culturelle si mouvante au-delà de laquelle (venant d'un certain sens...) le franc débat où s'affronte les dialectiques fait place à la franche empoignade où peuvent s'échanger des coups", écrira Jacques Soulillou8.

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RUPTURE

Avec tout ça, il apparaît que P.P. a bien brisé, momentanément, la frontière entre art et vie, et exécuté une partie du projet de Georges Maciunas, à savoir : "Purger le monde de la vie bourgeoise. Promouvoir la réalité du Non-Art pour qu'elle soit saisie par tout le monde"11 ; ou encore répondu à la définition de Ben : "Fluxus est un art d'attitude, qui contient un détachement de la part de l'artiste envers l'art"12. Avec notre groupe, c'est la vie et ses formes les plus concrètes qui investit, sans se dénaturer, tout le champ des arts plastiques ; elle est présentée, avec ironie, comme de même essence que les œuvres qui l'entourent. En fait on pourrait plus parler d'anti-art que de non-art avec Présence Panchounette. Leur production n'a rien à voir avec ce qui fait une œuvre en général : la réflexion abstraite et la poésie ; le chounette est anti-sentimental et bassement matérialiste, donc moderne, mais il se défend au premier abord sur la scène artistique.

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1 « L’ami fidèle des arts et de la culture », association loi de 1901.

2 Du latin "j'étudie". En même temps que ce nom évoque la télévision ou le cinéma on se demande comment un studio (une pièce principale) peut désigner un F4 !

3 Elle supporte aussi Daniel Buren, Jean-Luc Vilmouth, ou Art & Langage.

4 Présence Panchounette, phrase tirée du catalogue de l'exposition Cragg, Boum, Hue !, éditions de la Maison de la Culture de Chalon-sur-Saône, 1986, p.16.

5 cité par Présence Panchounette dans un texte sans titre de 1974, recueilli dans Œuvres Choisies, op. cit., p.60.

6 Texte sans titre de, probablement, 1974, in Œuvres Choisies, op. cit., p.66.

7 Tract de 1985, signé "Les revenants du ressentiment", Œuvres Choisies, op. cit., p.101.

8 Texte de 1978, recueilli dans Œuvres Choisies, op. cit., p.9.

9 La distinction, critique sociale du jugement, Editions de Minuit, collection Le sens commun, 1979. Ce livre couvre bien la période qui nous intéresse.

10 Rappelons que les classes ne sont pas définies par l'origine sociale ou scolaire du sujet, mais surtout, et cela revient souvent au même, par les revenus financiers et le pouvoir effectif qu'il possède dans son secteur d'activité.

11 Cité dans Groupes, mouvements, tendances, de l'art contemporain depuis 1945, édition de l'Ecole Nationale Supérieure des Beaux-Arts, Paris, 1991, p.67.

12 What is Fluxus, Ben, p.5, texte disponible sur la page Internet www.esf.ch/ben/fluxus1.html

 

 

Paru dans la revue Dissensus, Bordeaux©2005